Aurélien : C'est ta première création Dys sur dys ?
François : Oui c'est ma première création. C'est une création jeune public. C'est un endroit où je me sentais légitime de créer parce que je travaille beaucoup en tant qu’acteur dans le secteur jeune public, et aussi parce que c'est le cadre parfait, je trouve, pour le sujet et la forme du spectacle.
Quelle est l'histoire de Dys sur dys ? Qu'est-ce que cela raconte ?
C'est l'histoire de Pirlouit, un garçon qui souffre d'un trouble de dyspraxie. Cela raconte, de façon non-chronologique, le parcours de ce garçon depuis son très jeune âge jusqu'à ses 17ans. Quand cela commence, les spectateur∙trice∙s sont invité∙e∙s par les acteur∙trice∙s à traverser des souvenirs, des scènes de la vie de Pirlouit où il a été confronté à sa différence, à celle des autres. On le voit par exemple lorsqu'il apprend à écrire ou quand il rencontre son ami, on le voit faire la fête, on le voit avec ses professeurs. Le spectacle propose d'une certaine façon de voir le monde avec les yeux de quelqu'un de dyspraxique. Comment s'aborde le monde lorsque l'on vit avec un trouble comme celui-là ? Qu'est-ce que la norme ? Comment faire une force de ce qui peut sembler une faiblesse ?
Qu'est-ce que c'est la dyspraxie ?
Je vais essayer d'être clair parce que ce n'est pas si simple. C'est un trouble et pas une maladie. Les maladies, on les soigne. Il y a évidemment des maladies incurables mais on voit où est le virus, la tumeur, la racine de la maladie. C'est une chose extérieure au corps qui va venir le détruire, le transformer. Un trouble, c'est un dérèglement du développement. Le trouble, lui, sera toujours là. Ce que l'on peut faire c'est trouver des adaptations pour pallier ses effets. C'est très important de faire la différence parce que quand tu es atteint∙e d'un trouble comme celui-là, tu nais avec lui et tu meurs avec lui. Tout l'enjeu est donc d'apprendre à vivre avec et d'essayer d'en faire un allié, une force ou encore un pouvoir poétique. C'est le propos du spectacle.
On connait bien la dyslexie, le trouble de la lecture, la dyscalculie qui concerne le calcul, la dysphasie qui concerne la parole. La dyspraxie, elle, c'est un trouble de la coordination des gestes. Dans notre cerveau on a un endroit qui envoie une information aux membres pour effectuer un geste. Par exemple : prendre cette cafetière. Avant même de la prendre, il y a un autre endroit du cerveau qui m'indique comment faire. Je dois tendre mon bras de tant de centimètres, ouvrir ma main, saisir la hanse, la serrer et verser le café. Si cela nous paraît simple aujourd'hui c'est parce qu'on a appris à réaliser ce type de geste sans se brûler, sans renverser le café. C'est ce qu'on pourrait appeler du codage. Notre cerveau a enregistré ce geste comme plein d'autres. Pour quelqu'un de dyspraxique, il y a justement un problème à enregistrer ce que l'on appelle des gestes fins. Et donc, c'est comme si c'était toujours une première fois. C'est un trouble de l'appréhension de l'espace aussi. Un dyspraxique ne va par exemple pas savoir exactement comment placer sa chaise correctement par rapport à une table. Les dyspraxiques sont parfois désordonnés. Cela peut concerner autant l'espace où ils vivent que leurs pensées. Par exemple, un dyspraxique va avoir des difficultés à hiérarchiser ses pensées. Pour mon frère Louis, pour Pirlouit (nda : le personnage de Dys sur dys), ça demande un effort incroyable de se concentrer pour hiérarchiser ses pensées ou réaliser tous ces gestes que l'on dit fins. Finalement, on peut dire qu'il y a autant de dyspraxie que de dyspraxiques.
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Pirlouit, tu viens de le laisser entendre, est le double théâtral de ton frère Louis, qui est dyspraxique. Il s'agit de son histoire. Qu'est-ce qui t'as donné envie de la raconter ? Tu te l'es toujours dit ou c'est venu à un moment précis ?
Je suis touché par mon frère depuis toujours. Je suis très touché de l'avoir vu souvent en situation de handicap. Touché parce que c'est une personne magnifique. Je crois que dès que j'ai commencé à faire du théâtre, je me suis dit que je voulais faire « quelque chose » autour de Louis. Je me souviens à une époque, j'avais un appareil photo et je filmais ses mains. Petits, on disait : « Louis, il a un problème à ses petites mains ». Il a un problème d'équilibre aussi. Je me souviens, je le filmais en train de marcher. En 2017, j'avais une première idée de pièce mais c'est vraiment en 2019 que je me suis dit que j'allais écrire un spectacle sur la dyspraxie. Le déclic alors est venu quand j'ai trouvé comment raconter l'histoire. La question essentielle était : comment représenter la différence au théâtre ? C'est venu d'une lecture d'un livre de Georges Didi-Huberman dont je ne me rappelle plus le titre mais qui parlait de ce qu'il appelle les fantômes de l'Europe (nda : Passer quoi qu’il en coûte). Cela parlait des camps de réfugiés aux confins de l'Union, comme des fantômes que l'on préfère ne pas voir et qui font justement exister nos frontières. Le sujet du livre n'a rien à voir avec la dyspraxie mais cela m'a donné l'idée que la différence de Pirlouit pouvait se représenter par un fantôme. Là, je me suis dit qu'il y avait quelque chose de théâtral, de fantastique que je pouvais creuser et qui m'aiderait à écrire.
Et tu as commencé à écrire ?
Pas tout de suite. J'ai commencé à élaborer un cadre à l'histoire que je voulais écrire. Les trois protagonistes d'abord : le personnage de Pirlouit, transposé de mon frère, l'Homme-Orchestre qui joue tous les personnages de la vie de Pirlouit (les professeurs, les amis etc..) et Fantômette qui est le trouble qui l'accompagne. J'aime l'idée que Fantômette soit l'expression de sa différence, qu'il n'arrive jamais à la saisir. C'est quelqu'un qui le soutient, comme une sorte de meilleure amie invisible mais qui reste inatteignable. On peut le voir aussi comme un amour inaccessible. C'est une figure très ouverte. J'avais donc ce cadre et à ce moment-là, j'ai proposé à Arthur Oudar de me rejoindre dans l'écriture et pour construire le projet ensemble.
Et comment as-tu construit ton équipe ?
C'est ma première création alors j'ai voulu m'entourer de gens en qui j'avais confiance. J'ai réuni des personnes dont j'aime la personnalité et le travail. Dans les répétitions, je suis davantage dans une position de coordinateur, de celui qui s'occupe de la cohérence que de metteur en scène au sens classique du terme. Chacun apporte beaucoup au projet. On le fabrique tou∙te∙s ensemble. Au départ, j'avais commencé à écrire des scènes puis je les ai associées au processus dramaturgique. Chacun a fait des propositions de plateau pour enrichir le spectacle et, une fois le projet lancé en production, Arthur et moi avons écrit le spectacle durant l'été 2020.
Comment avez-vous écrit Arthur et toi ?
On a beaucoup fonctionné en « ping-pong ». J'écrivais une scène, il en écrivait une autre. On se faisait des retours. On précisait ci ou ça. Je crois que finalement, le mélange des écritures a bien pris ! Dans ce qu’on a écrit, il y a un fil narratif mais, comme je disais, c'est non-chronologique. Cela me plaisait beaucoup que le fil soit aussi désordonné que les pensées d'une personne dyspraxique. Une non-hiérarchisation des souvenirs, des pensées etc...
On parle aujourd'hui de personnes en situation de handicap et non plus de quelqu'un d'handicapé, précisément pour montrer que la norme produit un certain nombre de situations dans lesquelles beaucoup de personnes se retrouvent en situation de handicap. Finalement, peut-on dire que c'est l'organisation de nos vies, de nos espaces dans la société, qui va mettre ces individus en situation de handicap ?
Oui, l’expression situation de handicap est juste parce qu'on voit souvent le handicap apparaître dans des situations très précises. Cela peut arriver lors d'une lecture à haute voix pour un dyslexique ou bien quand il faut faire ses lacets pour un dyspraxique. Tout semble aller de soi et puis soudain, une situation suffit à rendre visible le trouble de la personne. Dans le spectacle, Fantômette apparaît quand Pirlouit revient de chez le docteur et que son trouble a été diagnostiqué. La force de Fantômette, c'est justement ce que je disais au début c'est comment peut-on apprendre à apprivoiser nos fantômes, notre différence, notre trouble. C'est un peu des grandes phrases, mais c'est bien ça : comment accepter notre différence, nos faiblesses et aussi celles des autres? Je pense que le combat c'est l'inclusivité, comment vivre ensemble avec nos différences.
De prime abord, on peut se dire que des spectacles comme Dys sur Dys ou Alzheimer Project viennent aborder des sujets que l'on pourrait dire très spécifiques mais en réalité ce n'est pas le cas dans la mesure où ces sujets touchent ou toucheront tout le monde un jour ou l'autre. Soit parce qu'on l'est soi-même, soit parce que l'on est en relation avec quelqu'un qui l'est.
Je pense que cela touche tout le monde en effet. Le spectacle parle spécifiquement de la dyspraxie, mais plus largement des troubles Dys et encore plus largement de toutes les différences par rapport à la norme. Par exemple, dans le spectacle, il y a un professeur qui est désemparé vis-à-vis du trouble de Pirlouit. Il reconnaît le trouble bien sûr, il voudrait l'aider mais il admet qu'il n'y arrive pas et qu'il ne sait pas comment faire. Cela m'émeut aussi de parler de ce point de vue-là, de ce cas de figure là aussi. Nous sommes pas toujours armé∙e∙s vis-à-vis de ces troubles. Ce sont des situations très complexes et je trouve intéressant de les montrer. C'est justement là où le théâtre est un médium formidable.
Il y a des actions qui entourent le spectacle auprès du public ?
Oui, on fait des ateliers autour du spectacle, on crée des liens avec des centres sociaux, des écoles, pour que ces troubles dys soient mieux connus encore. C'est utopique de penser que cela pourra suffire mais on apporte notre petite pierre à l'édifice. Jouer Dys sur dys est une manière d'inclure. C'est aussi important de le faire je trouve auprès du jeune public. Les enfants, les adolescents sont à un âge où les différences se marquent davantage. A l’école, ils et elles sont en relation avec la différence. Les adultes aussi évidemment… Et puis nous faisons du théâtre, c'est une façon pleine de joie de parler de ces sujets. C'est le lieu où l'on raconte des histoires.
Et comment commence le spectacle... ?
Ca commence ici et maintenant. Clément, Lucile et Gaspard s'adressent aux spectateur∙trice∙s et annoncent qu'iels vont leur raconter la vie de Pirlouit.
Salut, moi c’est Clément, et on va bientôt commencer le spectacle que vous êtes venu∙e∙s voir. Dans ce spectacle je vais jouer Pirlouit. Pirlouit c’est le héros de l’histoire. Ou plutôt c’est l’anti-héros de cette histoire Un héros ou une héroïne, ils sont souvent super balèzes, ils font des trucs de oufs, ils lancent des boules de feu, tout ça… Bon Pirlouit, lui, il est beaucoup moins impressionnant, il lance pas du tout des boules de feu, même une boule de pétanque, ce serait trop dangereux...